Le chocolat des Français : la Saint-Valentin du sexe.

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Lorsque vous demandez à un quidam ce que représente pour lui la Saint-Valentin (fêté le 14 février), vous obtiendrez deux types de réponses : “c’est une fête commerciale qui ne sert qu’à faire vendre des produits clichés” (fleurs, chocolats, etc.), ou “c’est une fête qui célèbre l’amour”. Difficile, pour les enseignes spécialisées dans ces produits, de faire subtil dans le domaine : lorsque l’on est une marque de chocolat, l’occasion est en or, mais tout le but est de réussir à faire vendre davantage sans tomber dans l’écueil d’une comm’ purement commerciale. Le chocolat des Français, enseigne connue pour ses packaging soignés et illustrés, a voulu faire dans le subversif, et évoquer le sexe en proposant un chocolat au gingembre (connu pour ses qualités aphrodisiaques) dans un emballage évocateur… Alors, recette gagnante ?

Pourquoi on sourit ?

L’enseigne surfe sur l’imaginaire collectif et fait appel à l’esprit formaté du consommateur : les images dessinées sur l’emballage de ses tablettes spéciales Saint-Valentin sont très suggestives sans pour autant être crues et évidentes. L’esthétique joue sur l’analogie, avec des représentations à double sens : au départ, on croit voir la tour Eiffel, et puis, dans un second temps, on voit un pénis. Et cela décliné : un bol de fruit qui représente aussi un pénis, un verre de cocktail qui fait penser au pelvis féminin, une rose ou une flamme dans lesquelles on voit une vulve…

Le sexe fait-il vraiment vendre ?

Le chocolat est associé au plaisir, c’est inévitable. Déjà, un plaisir gastronomique. En ajoutant le gingembre, l’enseigne réussit à concrétiser le concept qu’ils mettent en avant pour vendre leur produit : mangez du chocolat, et vous aurez envie de faire l’amour à votre partenaire. C’est donc se baser sur l’idée que le sexe fait (encore) vendre et que cette approche est (encore) originale. 
Mais utiliser l’évocation d’un pénis, ou d’une vulve comme prêt à rire se révèle désormais presque trop facile. Certes, le sexe fera toujours vendre. Mais vouloir choquer le consommateur, c’est aussi réduire son regard porté sur les choses importantes, dont l’amour partagé fait partie. Vouloir remplacer l’amour, qui s’étend sur la longueur et qui est l’objet de la fête de la Saint-Valentin, par une satisfaction immédiate, c’est jouer le jeu d’une société consumériste. On ne peut pas en vouloir aux gens de penser que, de fait, la Saint-Valentin est une fête commerciale…

Pourquoi c’est triste en fin de compte ?

Sur les images de la campagne, il est clairement suggéré que le but de ce chocolat est de rapprocher les couples. On les voit dans différentes configurations : séparés par leur téléphone, par les tâches ménagères, par la routine, etc. Seulement, ce point de vue limite la relation du couple à l’acte relativement primaire de la copulation. Cela voudrait dire que le jour où l’on célèbre l’amour, seul le sexe est à l’horizon et peut rapprocher un couple qui bat de l’aile. Cette vision des choses tend à faire oublier la tendresse : les simples caresses, les attentions, les mots d’amour, etc. 

C’est une vision tronquée du couple : pourquoi continuer de faire croire que la routine, les tâches ménagères et autres caractéristiques de la vie à deux sont uniquement pénibles ? Quand on sait, en réalité, que cela fait partie intégrante de la vie à deux. 

L’incapacité des marques aujourd’hui à parler d’amour. Il est vrai que l’on pourrait opposer comme argument qu’utiliser un concept noble pour vendre des produits est un peu dégradant. Mais, en réalité, c’est la sempiternelle histoire de la publicité : faire appel, chez le consommateur, à un sentiment fort. Et quelle plus-value pourtant que de faire naître chez le consommateur un désir qui le dépasse : c’est la promesse d’un idéal que l’on cherche à atteindre. 

Il faut savoir ce que l’on attend de la pub. Il y a un contrat tacite entre le consommateur et le vendeur (comme au théâtre entre le spectateur et l’acteur) qui est le suivant : ce qui est montré dans les pubs n’est pas la réalité, mais porte malgré tout un message pour le consommateur. Autant, alors, que ce message soit positif, spirituel et plus enlevé qu’une simple référence au sexe. Le produit répond au besoin du consommateur (un besoin basique : celui de manger, de se procurer des outils, de s’habiller, etc.), mais l’approche marketing peut choisir de sortir de la simple logique du besoin, et répondre à des envies plus profondes, que le consommateur lui-même ne saurait pas formuler.

On pourrait évoquer cette formule très cynique du personnage Don Draper dans la série Mad Men, qui nous plonge dans les stratégies marketing du monde de la pub des années 1950 à 1970 : “Ce que vous appelez l’amour, a été inventé par des types comme moi pour faire vendre du nylon”. Mais nous ne sommes plus dans les années 1960, il serait donc peut-être temps de donner à la publicité un nouvel élan qui dépasserait à la fois le cynisme des années 1960 et le consumérisme des années 2000. 

À propos d'Émile Duport

Emile DUPORT est Directeur conseil et associé de PROGRESSIF MEDIA une agence de communication digitale au service des organisations caritatives, des marques engagées et fondations d’entreprise. Il est également musicien, auteur, compositeur et fondateur du collectif de création graphique Cesâmes.